31/08/2014

L'émigrant de Landor Road




Phoographie d'Alexei Vassiliev


Le chapeau à la main il entra du pied droit
Chez un tailleur très chic et fournisseur du roi
Ce commerçant venait de couper quelques têtes
De mannequins vêtus comme il faut qu'on se vête

La foule en tous les sens remuait en mêlant
Des ombres sans amour qui se traînaient par terre
Et des mains vers le ciel plein de lacs de lumière
S'envolaient quelquefois comme des oiseaux blancs

Mon beau bateau partira demain pour l'Amérique
                 Et je ne reviendrai jamais
Avec l'argent gagné dans les prairies lyriques
Guider mon ombre aveugle en ces rues que j'aimais

Car revenir c'est bon pour un soldat des Indes
Les boursiers ont vendu tous mes crachats d'or fin
Mais habillé de neuf je veux dormir enfin
Sous des arbres pleins d'oiseaux muets et de singes

Les mannequins pour lui s'étant déshabillés
Battirent leurs habits puis les lui essayèrent
Le vêtement d'un lord mort sans avoir payé
Au rabais l'habilla comme un millionnaire

                Au dehors les années
                Regardaient la vitrine
                Les mannequins victimes
                Et passaient enchaînées

Intercalées dans l'an c'étaient les journées veuves
Les vendredis sanglants et lents d'enterrements
De blancs et de tous noirs vaincus des cieux qui pleuvent
Quand la femme du diable a battu son amant

Puis dans un port d'automne aux feulles indécises
Quand les mains de la foule y feuillolaient aussi
Sur le pont du vaisseau il posa sa valise
                            Et s'assit

Les vents de l'Océan en soufflant leurs menaces
Laissaient dans ses cheveux de longs baisers mouillés
Des émigrants tendaient vers le port leurs mains lasses
Et d'autres en pleurant s'étaient agenouillés

Il regarda longtemps les rives qui moururent
Seuls des bateaux d'enfant tremblaient à l'horizon
Un tout petit bouquet flottant à l'aventure
Couvrit l'Océan d'une immense floraison

Il aurait voulu ce bouquet comme la gloire
Jouer dans d'autres mers parmi tous les dauphins
                Et l'on tissait dans sa mémoire
                Une tapisserie sans fin
                Qui figurait son histoire

                Mais pour noyer changées en poux
Ces tisseuses têtues qui sans cesse interrogent
                Il se maria comme un doge
Aux cris d'une sirène moderne sans époux

Gonfle-toi vers la nuit Ô Mer Les yeux des squales
Jusqu'à l'aube ont guetté de loin avidement
Des cadavres de jours rongés par les étoiles
Parmi le bruit des flots et les derniers serments.




Guillaume APOLLINAIRE - Alcools



Richard Vantielke - Quai des ombres

30/08/2014

Saltimbanques



Pablo Picasso - Famille de saltimbanques



Dans la plaine les baladins
S'éloignent au long des jardins
Devant l'huis des auberges grises
Par les villages sans églises

Et les enfants s'en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe

Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours des cerceaux dorés
L'ours et le singe animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage



Guillaume APOLLINAIRE - Alcools

Poème inspiré par une série de toiles de Picasso.

Mis en musique par Serge Bessière et chanté par Yves Montand :

https://www.youtube.com/watch?v=oM0UJKev78E

La blanche neige

Sandra Ovono - Vol d'oiseaux



Les anges les anges dans le ciel
L'un est vêtu en officier
L'un est vêtu en cuisinier
Et les autres chantent

Bel officier couleur de ciel
Le doux printemps longtemps après Noël
Te médaillera d'un beau soleil
      D'un beau soleil

Le cuisinier plume les oies
      Ah ! tombe neige
      Tombe et que n'ai-je
Ma bien-aimée entre mes bras



Guillaume APOLLINAIRE - Alcools

29/08/2014

Marie




Vous y dansiez petite fille
Y danserez-vous mère-grand
C'est la maclotte qui sautille
Toutes les cloches sonneront
Marie Laurencin - Autoportrait au vase vert
Quand donc reviendrez-vous Marie

Les masques sont silencieux
Et la musique est si lointaine
Qu'elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux

Les brebis s'en vont dans la neige
Flocons de laine et ceux d'argent
Des soldats passent et que n'ai-je
Un coeur à moi ce coeur changeant
Changeant et puis encor que sais-je

Sais-je où s'en iront tes cheveux
Crêpus comme mer qui moutonne
Sais-je où s'en iront tes cheveux
Et tes mains feuilles de l'automne
Que jonchent aussi nos aveux

Je passais au bord de la Seine
Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s'écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine



Guillaume apollinaire - Alcools

26/08/2014

Annie

J.W. Waterhouse - Le bouquet



Sur la côte du Texas
Entre Mobile et Galveston il y a
Un grand jardin tout plein de roses
Il contient aussi une villa
Qui est une grande rose

Une femme se promène souvent
Dans le jardin toute seule
Et quand je passe sur la route bordée de tilleuls
Nous nous regardons

Comme cette femme est mennonite
Ses rosiers et ses vêtements n'ont pas de boutons
Il en manque deux à mon veston
La dame et moi suivons presque le même rite



Guillaume APOLLINAIRE - Alcools

Les sept épées



Mater dolorosa - vitrail du 16e siècle


Sept épées de mélancolie 
Sans morfil ô claires douleurs
Sont dans mon coeur et la folie
Veut raisonner pour mon malheur
Comment voulez-vous que j'oublie





La première est toute d'argent
Et son nom tremblant c'est pâline
Sa lame un ciel d'hiver neigeant
So, destin sanglant gibeline
Vulcain mourut en la forgeant

La seconde nommée Noubosse
Est un bel arc-en-ciel joyeux
Les dieux s'en servent à leurs noces
Elle a tué trente Bé-Rieux
Et fut douée par Carabosse

La troisième bleu féminin
N'en est pas moins un chibriape
Appelé Lul de Faltenin
Et que porte sur une nappe
L'Hermès Ernest devenu nain

La quatrième Malourène
Est un fleuve vert et doré
C'est le soir quand les riveraines
Y baignent leurs corps adorés
Et les chants de rameurs s'y traînent

La cinquième sainte-Fabeau
C'est la plus belle des quenouilles
C'est un cyprès sur un tombeau
Où les quatre vents s'agenouillent
Et chaque nuit est un flambeau

La sixième métal de gloire
C'est l'ami aux si douces mains
Dont chaque matin nous sépare
Adieu voilà votre chemin
Les coqs s'épuisaient en fanfares

Et la septième s'exténue
Une femme une rose morte
Merci que le dernier venu
Sur mon amour ferme la porte
Je ne vous ai jamais connue



Guillaume APOLLINAIRE - Alcools (La chanson du mal-aimé)





Aubade chantée à Laetare un an passé

C'est le printemps viens-t'en Pâquette
Te promener au bois joli
Les poules dans la cour caquètent
L'aube au ciel fait de roses plis
L'amour chemine à ta conquête

Mars et Vénus sont revenus
Ils s'embrassent à bouches folles
Devant des sites ingénus
Où sous les roses qui feuillolent
De beaux dieux roses dansent nus

Viens ma tendresse est la régente
De la floraison qui paraît
La nature est belle et touchante
Pan sifflote dans la forêt
Les grenouilles humides chantent


Guillaume APOLLINAIRE - Alcools (La chanson du mal-aimé)


Nicolas Poussin - Mars et Vénus


25/08/2014

Clotilde


Claude Monet - Coin de jardin à Montgeron


L'anémone et l'ancolie
Ont poussé dans le jardin
Où dort la mélancolie
Entre l'amour et le dédain

Il y vient aussi nos ombres
Que la nuit dissipera
Le soleil qui les rend sombres
Avec elles disparaîtra

Les déités des eaux vives
Laissent couler leurs cheveux
Passe il faut que tu poursuives
Cette belle ombre que tu veux



Guillaume APOLLINAIRE - Alcools

Crépuscule



                                    À Mademoiselle Marie Laurencin                       



Frôlée par les ombres des morts
Sur l'herbe où le jour s'exténue
L'Arlequine s'est mise nue
Et dans l'étang mire son corps
Pablo Picasso - Famille de saltimbanques

Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l'on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D'astres pâles comme du lait 

Sur les trétaux l'arlequin blême
Salue s'abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs

Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales

L'aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d'un air triste
Grandir l'arlequin trismégiste



Guillaume APOLLINAIRE - Alcools

22/08/2014

Les colchiques



Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s'empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne

Les enfants de l'école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne


Guillaume APOLLINAIRE - Alcools



Gustav Klimt - Le baiser


21/08/2014

Le pont Mirabeau



Sous le pont Mirabeau coule la Seine
         Et nos amours
   Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Mona Fontina - Le pont Mirabeau

         Vienne la nuit sonne l'heure
         Les jours s'en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
         Tandis que sous
   Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse

         Vienne la nuit sonne l'heure
         Les jours s'en vont je demeure

L'amour s'en va comme cette eau courante
         L'amour s'en va
   Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente

         Vienne la nuit sonne l'heure
         Les jours s'en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
         Ni temps passé
   Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

         Vienne la nuit sonne l'heure
         Les jours s'en vont je demeure




Guillaume APOLLINAIRE - Alcools




         
        




À la nue accablante tu...




J.M.G. Turner - Waves breaking on a shore
À la nue accablante tu
Basse de basalte et de laves
A même les échos esclaves
Par une trompe sans vertu

Quel sépulcral naufrages (tu
Le sais, écumes, mais y baves)
Suprême une entre les épaves
Abolit le mât dévêtu

Ou cela que furibond faute
De quelque perdition haute
Tout l'abîme vain éployé

Dans le si blanc cheveu qui traîne
Avarement aura noyé
Le flanc enfant d'une sirène.



Stéphane MALLARMÉ

Une dentelle...

A. von Menzel - Une fenêtre
(détail)


Une dentelle s'abolit
Dans le doute du Jeu suprême
À n'entr'ouvrir comme un blasphème
Qu'absence éternelle de lit.

Cet unanime blanc conflit
D'une guirlande avec la même,
Enfoui contre la vitre blême
Flotte plus qu'il n'ensevelit.

Mais chez qui du rêve se dore
Tristement dort une mandore
Au creux néant musicien

Telle que vers quelque fenêtre
Selon nul ventre que le sien
Filial on aurait pu naître.



Stéphane MALLARMÉ  

20/08/2014

Hommage à Puvis de Chavannes



Puvis de Chavannes - La source

Toute Aurore même gourde
À crisper un poing obscur
Contre des clairons d'azur
Embouchés par cette sourde

A le pâtre avec la gourde
Jointe au bâton frappant dur
Le long de son pas futur
Tant que la source ample sourde.

Par avance ainsi tu vis
Ô solitaire Puvis
De Chavannes jamais seul

De conduire le temps boire
À la nymphe sans linceul
Que lui découvre ta Gloire.



Stéphane MALLARMÉ

Hommage à Richard Wagner





H. Fantin-Latour - La muse
Le silence déjà funèbre d'une moire
Dispose plus qu'un pli seul sur le mobilier
Que doit un tassement du principal pilier
Précipiter avec le manque de mémoire.

Notre si vieil ébat triomphal du grimoire,
Hiéroglyphes dont s'exalte le millier
À propager de l'aile un frisson familier !
Enfouissez-le-moi plutôt dans une armoire.

Du souriant fracas originel haï
Entre elles de clartés maîtresses a jailli
Jusque vers un parvis né pour leur simulacre,

Trompettes tout haut d'or pâmé sur les vélins
Le dieu Richard Wagner irradiant un sacre
Mal tu par l'encre même en sanglots sibyllins.



Stéphane MALLARMÉ

Le tombeau d'Edgar Poe





Gustave Doré -
 «Wandering from the nightly shore» *




Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change,
Le poète suscite avec un glaive nu
Son siècle épouvanté de n'avoir pas connu
Que la mort triomphait dans cette voix étrange.

Eux, comme un vil sursaut d'hydre oyant jadis l'ange
Donner un sens plus pur aux mots de la tribu,
Proclamèrent très haut le sortilège bu
Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange.

Du sol et de la nue hostiles, ô grief !
Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief
Dont la tombe de Poe éblouissante s'orne,

Calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur,
Que ce granit du moins montre à jamais sa borne
Aux noirs vols du blasphème épars dans le futur !



Stéphane MALLARMÉ


* Une des 26 illustrations réalisées par Gustave Doré pour Le Corbeau d'Edgar Poe

19/08/2014

Ses purs ongles très haut...



Vincent Van Gogh - La nuit étoilée sur le Rhône



Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
Aboli bibelot d'inanité sonore,
(Car le maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s'honore.)

Mais proche la croisée au nord vacante, un or
Agonise selon peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre une nixe,

Elle, défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l'oubli fermé par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor.



Stéphane MALLARMÉ

Le vierge, le vivace...





Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui !

Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n'avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.

Tout son col secouera cette blanche agonie
Henri Matisse - Le cygne
Par l'espace infligée à l'oiseau qui le nie,
Mais non l'horreur du sol où le plumage est pris.

Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s'immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l'exil inutile le Cygne.



Stéphane MALLARMÉ


Matisse réalisa en 1932 pour les éditions Skira une illustration des Poésies de Mallarmé. 

« Le livre ne doit pas avoir besoin d’être complété par une illustration imitatrice. Le peintre et l’écrivain doivent agir ensemble, sans confusion, mais parallèlement. Le dessin doit être un équivalent plastique du poème ». 

 Henri Matisse 

18/08/2014

Autre éventail...de Mademoiselle Mallarmé




Ô rêveuse, pour que je plonge
Au pur délice sans chemin,
Berthe Morisot - jeune fille à l'éventail
Sache, par un subtil mensonge,
Garder mon aile dans ta main.

Une fraîcheur de crépuscule
Te vient à chaque battement
dont le coup prisonnier recule
L'horizon délicatement.

Vertige ! voici que frissonne
L'espace comme un grand baiser
Qui, fou de naître pour personne,
Ne peut jaillir ni s'apaiser.

Sens-tu le paradis farouche
Ainsi qu'un rire enseveli
Se couler du coin de ta bouche
Au fond de l'unanime pli !

Le sceptre des rivages roses
Stagnants sur les soirs d'or, ce l'est,
Ce blanc vol fermé que tu poses
Contre le feu d'un bracelet.



Stéphane MALLARMÉ




L'éventail de Mlle Mallarmé

http://www.musee-mallarme.fr/autre-eventail-de-mademoiselle-mallarme

Éventail... de Madame Mallarmé




Avec comme pour langage
Fernand Toussaint - Femme à l'éventail
Rien qu'un battement aux cieux
Le futur vers se dégage
Du logis très précieux

Aile tout bas la courrière
Cet éventail si c'est lui
Le même par qui derrière
Toi quelque miroir a lui

Limpide (où va redescendre
Pourchassée en chaque grain
Un peu d'invisible cendre
Seule à me rendre chagrin)

Toujours tel il apparaisse
Entre tes mains sans paresse.



Stéphane MALLARMÉ



L'éventail de Mme Mallarmé



Sainte




À la fenêtre recélant
Jacques Brouillard - Sainte Cécile
Le santal vieux qui se dédore
De sa viole étincelant
Jadis avec flûte ou mandore,

Est la sainte pâle, étalant
Le livre vieux qui se déplie
Du Magnificat ruisselant
Jadis selon vêpre et complie :

À ce vitrage d'ostensoir
Que frôle une harpe par l'Ange
Formée avec son vol du soir
Pour la délicate phalange

Du doigt que, sans le vieux santal
Ni le vieux livre, elle balance
Sur le plumage instrumental,
Musicienne du silence.



Stéphane MALLARMÉ

La chevelure




Joanna Hoffamn - Jo, femme d'Irlande



La chevelure vol d'une flamme à l'extrême
Occident de désirs pour la tout éployer
Se pose (je dirais mourir un diadème)
Vers le front couronné son ancien foyer

Mais sans or soupirer que cette vive nue
L'ignition du feu toujours intérieur
Originellement la seule continue
Dans le joyau de l'oeil véridique ou rieur

Une nudité de héros tendre diffame
Celle qui ne mouvant astre ni feux au doigt
Rien qu'à simplifier avec gloire la femme
Accomplit par son chef fulgurante l'exploit

De semer de rubis le doute qu'elle écorche
Ainsi qu'une joyeuse et tutélaire torche.



Stéphane MALLARMÉ

15/08/2014

Don du poème




Edouard Manet
Illustration pour "Le Corbeau" d'E. Poe traduit par Mallarmé





Je t'apporte l'enfant d'une nuit d'Idumée !
Noire, à l'aile saignante et pâle, déplumée,
Par le verre brûlé d'aromates et d'or,
Par les carreaux glacés, hélas ! mornes encor,
L'aurore se jeta sur la lampe angélique,
Palmes ! et quand elle a montré cette relique
À ce père essayant un sourire ennemi,
La solitude bleue et stérile a frémi.
Ô la berceuse, avec ta fille et l'innocence
De vos pieds froids, accueille une horrible naissance :
Et ta voix rappelant viole et clavecin,
Avec le doigt fâné presseras-tu le sein
Par qui coule en blancheur sybilline la femme
Pour les lèvres que l'air du vierge azur affame ?


Stéphane MALLARMÉ