20/03/2014

Mme Swann au Bois



Constantin Guys - Promenade au Bois


(...) au lieu de la simplicité, c'est le faste que je mettais au plus haut rang si, après avoir forcé Françoise, qui n'en pouvait plus et disait que les jambes "lui rentraient", à faire les cent pas pendant une heure, je voyais enfin, débouchant de l'allée qui vient de la Porte Dauphine - image pour moi d'un prestige royal, d'une arrivée souveraine, telle qu'aucune reine véritable n'a pu m'en donner l'impression dans la suite, parce que j'avais de leur pouvoir une notion moins vague et plus expérimentale - emportée par le vol de deux chevaux ardents, minces et contournés comme on en voit dans les dessins de Constantin Guys, portant établi sur son siège un énorme cocher fourré comme un cosaque, à côté d'un petit groom rappelant le "tigre" de "feu Baudenord"*, je voyais - ou plutôt je sentais imprimer  sa forme dans mon coeur par une nette et épuisante blessure - une incomparable victoria, à dessein un peu haute et laissant passer à travers son luxe "dernier cri" des allusions aux formes anciennes, au fond de laquelle reposait avec abandon Mme Swann, ses cheveux maintenant blonds avec une seule mèche grise ceints d'un mince bandeau de fleurs, le plus souvent des violettes, d'où descendaient de longs voiles, à la main une ombrelle mauve, aux lèvres un sourire ambigu où je ne voyais que la bienveillance d'une Majesté et où il y avait surtout la provocation de la cocotte, et qu'elle inclinait avec douceur sur les personnes qui la saluaient.

*Personnages de Balzac

Marcel PROUST - Du côté de chez Swann (Noms de pays : le nom)

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