22/05/2014

Le serpent qui danse


Edvard Münch - Madonna
Que j'aime voir, chère indolente,
        De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
        Miroiter la peau !

Sur ta chevelure profonde
        Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
        Aux flots bleus et bruns,

Comme un navire qui s'éveille
        Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
        Pour un ciel lointain.

Tes yeux, où rien ne se révèle
        De doux ni d'amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
        L'or avec le fer.

À te voir marcher en cadence,
        Belle d'abandon,
On dirait un serpent qui danse
        Au bout d'un bâton.

Sous le fardeau de ta paresse
        Ta tête d'enfant
Se balance avec la mollesse
        D'un jeune éléphant.

Et ton corps se penche et s'allonge
        Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
        Ses vergues dans l'eau.

Comme un flot grossi par la fonte 
        Des glaciers grondants,
 Quand l'eau de ta bouche remonte
        Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de Bohême,
        Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
        D'étoiles mon coeur !



Charles BAUDELAIRE - Les fleurs du mal (Spleen et idéal)








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