30/06/2014

Le dormeur du val



E.R. Hughes - What's in the hollow


C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleul, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouge au côté droit.



Arthur RIMBAUD

27/06/2014

Bateau ivre



J.M.W. Turner - Tempête de neige en mer



Comme je descendais des fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés famands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots.

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le poème
De la mer, infusé d'astres et latescents,
Dévorant les azurs verts où, flottaison blême,
Et ravie, un noyé pensif parfois descend,

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que vos lyres,
Fermentent le rousseur amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes,
Et les ressacs, et les courants ; je sais le soir,
L'aube exaltée, ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir.

J'ai vu le soleil bas taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques,
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets.

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baisers montant aux yeux des mers avec lenteur,
La circulation des sèves inouies,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs.

J'ai suivi, des mois pleins, pareils aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs.

J'ai heurté, savez-vous ! D'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides,
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux.

J'ai vu fermenter les marais, énormes nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan,
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant.

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises,
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient des arbres tordus avec de noirs parfums.

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
Des écumes de fleurs ont béni mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais ainsi qu'une femme à genoux.

Presqu'île ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds ;
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir à reculons...

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau,

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur,
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur,

Qui courais taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs,

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et des Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobolités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets.

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseau d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré. Les aubes sont navrantes,
Toute lune est atroce et tout soleil amer.
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Oh, que ma quille éclate ! oh ! que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où, vers le crépuscule embaumé,
Un enfant accroupi, plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons !



Arthur RIMBAUD 

17/06/2014

C'est la fête du blé...



Léon-Augustin Lhermitte - Moisson à Mézy



C'est la fête du blé, c'est la fête du pain
Aux chers lieux d'autrefois revus après ces choses !
Tout bruit, la nature et l'homme, dans un bain
De lumière si blanc que les ombres sont roses.

L'or des pailles seffondre au vol siffleur des faux
Dont l'éclair plonge, et va luire, et se réverbère,
La plaine, tout au loin couverte de travaux, 
Change de face à chaque instant, gaie et sévère.

Tout halète, tout n'est qu'effort et mouvement
Sous le soleil, tranquille auteur des moissons mûres,
Et qui travaille encore, imperturbablement,
À gonfler, à sucrer - là-bas ! - les grappes sures.

Travaille, vieux soleil, pour le pain et le vin,
Nourris l'homme du lait de la terre, et lui donne
L'honnête verre où rit un peu d'oubli divin...
Moissonneurs, - vendangeurs là-bas - votre heure est bonne !

Car sur la fleur des pains et sur la fleur des vins,
Fruit de la force humaine en tous lieux répartie,
Dieu moissonne, et vendange, et dispose à ses fins
La Chair et le Sang pour le calice et l'hostie !



Paul VERLAINE - Sagesse III, 21

L'échelonnement des haies...



L'échelonnement des haies
Moutonne à l'infini, mer
Claire dans le brouillard clair
Qui sent bon les jeunes baies.


Des arbres et des moulins
Sont légers sur le vert tendre
Où vient s'ébattre et s'étendre
L'agilité des poulains.

Dans ce vague d'un Dimanche
Voici se jouer aussi
De grandes brebis aussi
Douces que leur laine blanche.

Tout à l'heure déferlait
L'onde, roulée en volutes,
De cloches comme des flûtes 
Dans le ciel comme du lait.



Paul VERLAINE - Sagesse III, 13

La bise se rue...




La bise se rue à travers
Les buissons tout noirs et tout verts,
Constantin Stepanjuk - Fin de l'hiver 
Glaçant la neige éparpillée
Dans la campagne ensoleillée.
L'odeur est aigre près des bois,
L'horizon chante avec des voix,
Les coqs des clochers des villages
Luisent crûment sur les nuages.
C'est délicieux de marcher
À travers ce brouillard léger
Qu'un vent taquin parfois retrousse.
Ah ! fi de mon vieux feu qui tousse !
J'ai des fourmis plein les talons.
Debout, mon âme, vite, allons !
C'est le printemps sévère encore, 
Mais qui par instant s'édulcore
D'un souffle tiède juste assez
Pour mieux sentir les froids passés
Et penser au Dieu de clémence...
Va, mon âme, à l'espoir immense !



Paul VERLAINE - Sagesse III, 11

Le son du cor...





Armand Guillaumin - Paysage de neige à Crozant
Le son du cor s'afflige vers les bois
D'une douleur qu'on veut croire orpheline
Qui vient mourir au bas de la colline
Parmi la brise errant en courts abois.

L'âme du loup pleure dans cette voix
Qui monte avec le soleil qui décline
D'une agonie qu'on veut croire câline
Et qui ravit et qui navre à la fois.

Pour faire mieux cette plainte assoupie,
La neige tombe à longs traits de charpie
À travers le couchant sanguinolent,

Et l'air a l'air d'être un soupir d'automne,
Tant il fait doux par ce soir monotone
Où se dorlote un paysage lent.



Paul VERLAINE - Sagesse III, 9

16/06/2014

Je ne sais pourquoi...



Iris Raquin - Mouette en vol


                    Je ne sais pourquoi
                    Mon esprit amer
D'une aile inquiète et folle vole sur la mer.
                   Tout ce qui m'est cher,
                   D'une aile d'effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?

            Mouette à l'essor mélancolique,
            Elle suit la vague, ma pensée,
            À tous les vents du ciel balancée,
            Et biaisant quand la marée oblique,
            Mouette à l'essor mélancolique.

                    Ivre de soleil
                   Et de liberté,
Un instinct la guide à travers cette immensité.
                   La brise d'été
                   Sur le flot vermeil
Doucement la porte en un tiède demi-sommeil.

           Parfois si tristement elle crie
           Qu'elle alarme au lointain le pilote,
           Puis au gré du vent se livre et flotte
           Et plonge, et l'aile toute meurtrie
           Revole, et puis si tristement crie !

                    Je ne sais pourquoi
                    Mon esprit amer
D'une aile inquiète et folle vole sur la mer.
                   Tout ce qui m'est cher,
                   D'une aile d'effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?



Paul VERLAINE - Sagesse III, 7


Le ciel est, par-dessus le toit...







Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.

Le clocher, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit
Chante sa plainte.

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.

- Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?



Paul VERLAINE - Sagesse III, 6

Gaspard Hauser chante :




Johann Georg Laminit
 - Kaspar Hauser
Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes :
Ils ne m'ont pas trouvé malin.

À vingt ans un trouble nouveau,
Sous le nom d'amoureuses flammes,
M'a fait trouver belles les femmes :
Elles ne m'ont pas trouvé beau.

Bien que sans patrie et sans roi
Et très brave ne l'étant guère,
J'ai voulu mourir à la guerre :
La mort n'a pas voulu de moi.

Suis-je né trop tôt ou trop tard ?
Qu'est-ce que je fais en ce monde ?
Ô vous tous, ma peine est profonde :
Priez pour le pauvre Gaspard !



Paul VERLAINE - Sagesse III, 4


Et chanté par Georges Moustaki :

https://www.youtube.com/watch?v=9xiQZ6u1-_M



L'espoir luit...



Rembrandt - La Sainte Famille 



L'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable.
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ?
Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.
Que ne t'endormais-tu, le coude sur la table ?

Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé,
Bois-là. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,
Et je dorloterai les rêves de ta sieste,
Et tu chantonneras comme un enfant bercé.

Midi sonne. De grâce, éloignez-vous, madame.
Il dort. C'est étonnant comme les pas de femme
Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.

Midi sonne. J'ai fait arroser dans la chambre.
Va, dors ! L'espoir luit comme un caillou dans un creux.
Ah, quand refleuriront les roses de septembre !



Paul VERLAINE - Sagesse III,3

15/06/2014

Bon chevalier masqué...




Albrecht Dürer - Saint Georges


Bon chevalier masqué qui chevauche en silence,
Le Malheur a percé mon vieux coeur de sa lance.

Le sang de mon vieux coeur n'a fait qu'un jet vermeil,
Puis s'est évaporé sur les fleurs, au soleil..

L'ombre éteignit mes yeux, un cri vint à ma bouche,
Et mon vieux coeur est mort dans un frisson farouche.

Alors le chevalier Malheur s'est rapproché,
Il a mis pied à terre et sa main m'a touché.

Son doigt ganté de fer entra dans ma blessure
Tandis qu'il attestait sa loi d'une voix dure.

Et voici qu'au contact glacé du doigt de fer
Un coeur me renaissait, tout un coeur pur et fier.

Et voici que, fervent d'une candeur divine,
Tout un coeur jeune et bon battit dans ma poitrine.

Or je restais tremblant, ivre, incrédule un peu,
Comme un homme qui voit des visions de Dieu.

Mais le bon chevalier, remonté sur sa bête,
En s'éloignant, me fit un signe de la tête

Et me cria (j'entends encore cette voix) :
« Au moins, prudence ! Car c'est bon pour une fois. »



Paul VERLAINE - Sagesse, I, 1


14/06/2014

BRUXELLES. Simples fresques



I

Paul Cox - Paysage flou



La fuite est verdâtre et rose
Des collines et des rampes
Dans un demi-jour de lampes
Qui vient brouiller toute chose.

L'or, sur les humbles abîmes,
Tout doucement s'ensanglante.
Des petits arbres sans cîmes
Où quelque oiseau faible chante.

Triste à peine tant s'effacent
Ces appatences d'automne,
Toutes mes langueurs rêvassent
Que berce l'air monotone.




II


L'allée est sans fin
Sous le ciel, divin
D'être pâle ainsi :
Sais-tu qu'on serait
Alexandre Duperreux - vue du château
de Fontainebleau 
Bien sous le secret
De ces arbres-ci ?

Des messieurs bien mis,
Sans nul doute amis
Des Royers-Collards,
Vont vers le château :
J'estimerais beau
D'être ces vieillards.

Le château, tout blanc
Avec à son blanc,
Le soleil couché,
Les champs alentour :
Oh ! que notre amour
N'est-il là niché ?



Paul VERLAINE - Romances sans paroles (Paysages belges)

CHARLEROI



Dans l'herbe noire
Les Kobolds vont,
Le vent profond
Pleure, on veut croire.

Quoi donc se sent ? 
L'avoine siffle.
Un buisson gifle
L'oeil au passant.

Constantin Meunier - Vue du Borinage
Plutôt des bouges
Que des maisons.
Quels horizons 
De forges rouges !

On sent donc quoi ?
Des gares tonnent,
Les yeux s'étonnent,
Où, Charleroi ?

Parfums sinistres !
Qu'est-ce que c'est ?
Quoi bruissait
Comme des sistres ?

Sites brutaux !
Oh ! votre haleine,
Sueur humaine,
Cris des métaux !

Dans l'herbe noire
Les Kobolds vont,
Le vent profond
Pleure, on veut croire.



Paul VERLAINE - Romances sans paroles (Paysages belges)



12/06/2014

WALCOURT



Briques et tuiles,
Van Gogh - La guinguette
Ô les charmants
Petits asiles
Pour les amants !

Houblons et vignes,
Feuilles et fleurs,
Tentes insignes
Des francs buveurs !

Guinguettes claires, 
Bières, clameurs,
Servantes chères
À tous fumeurs !

Gares prochaines,
Gais chemins grands...
Quelles aubaines,
Bons juifs-errants !




Paul VERLAINE - Romances sans paroles (Paysages belges)

Soleils couchants




Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Charles-François Daubigny
  Soleil couchant sur l'Oise
Des soleils couchants.
La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s'oublie
Aux soleils couchants.
Et d'étranges rêves
Comme des soleils
Couchants sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent pareils
À des grands soleils
Couchants sur les grèves.



Paul VERLAINE - Poèmes saturniens (Paysages tristes)



10/06/2014

MALINES



Pierre-Paul Rubens - Paysage de Het Steen



Vers les prés le vent cherche noise
Aux girouettes, détail fin
Du château de quelque échevin,
Rouge de brique et bleu d'ardoise,
Vers les prés clairs, les prés sans fin...

Comme les arbres des fééries,
Des frênes, vagues frondaisons,
Échelonnent mille horizons
À ce Sahara de prairies,
Trèfle, luzerne et blanc gazon.

Les wagons filent en silence
Parmi ces sites apaisés.
Dormez, les vaches ! Reposez,
Doux taureaux de la plaine immense,
Sous vos cieux à peine irisés !

Le train glisse sans un murmure,
Chaque wagon est un salon
Où l'on cause bas et d'où l'on
Aime à loisir cette nature
Faite à souhait pour Fénelon.



Paul VERLAINE - Romances sans paroles (Paysages belges)



BRUXELLES. Chevaux de bois



                                                                Par Saint-Gille
                                                                                Viens-nous-en,
                                                                                Mon agile
                                                                                Alezan !
                                                                                  (V. HUGO)  
                                                                    


Tournez, tournez, bons chevaux de bois,
Tournez cent tours, tournez mille tours,
Tournez souvent et tournez toujours,
Tournez, tournez au son des hautbois.

Le gros soldat, la plus grosse bonne
Sont sur vos dos comme dans leur chambre,
Izis - Manège

      
Car en ce jour au bois de la Cambre
Les maîtres sont tous deux en personne.

Tournez, tournez, chevaux de leur coeur,
Tandis qu'autour de tous vos tournois
Clignote l'oeil du filou sournois,
Tournez au son du piston vainqueur.

C'est ravissant comme ça vous soûle
D'aller ainsi dans ce cirque bête :
Bien dans le ventre et mal dans la tête,
Du mal en masse et du bien en foule.

Tournez, tournez sans qu'il soit besoin
D'user jamais de nuls éperons
Pour commander à vos galops ronds,
Tournez, tournez, sans espoir de foin

Et dépêchez, chevaux de leur âme :
Déjà voici que la nuit qui tombe
Va réunir pigeon et colombe
Loin de la foire et loin de madame.

Tournez, tournez ! le ciel en velours
D'astres en or se vêt lentement.
Voici partir l'amante et l'amant,
Tournez au son joyeux des tambours !



Paul VERLAINE - Romances sans paroles (Paysages belges)

09/06/2014

La lune blanche...



La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part ne voix
Sous la ramée...

Ô bien-aimée.
Van Der Neer - Clair de lune


L'étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure...

Rêvons, c'est l'heure.

Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise...

C'est l'heure exquise.



PAUL VERLAINE - La bonne chanson, VI

08/06/2014

Balbec : ouverture des rideaux



Fenêtre de la chambre de Marcel Proust à Cabourg





Je m'impatientais qu'on ne fût pas encore venu me donner mes affaires pour que je puisse m'habiller. Midi sonnait, enfin arrivait Françoise. Et pendant des mois de suite, dans ce Balbec que j'avais tant désiré parce que je ne l'imaginais que battu par la tempête et perdu dans les brumes, le beau temps avait été si éclatant et si fixe que, quand elle venait ouvrir la fenêtre, j'avais pu toujours, sans être trompé, m'attendre à trouver le même pan de soleil plié à l'angle du mur extérieur, et d'une couleur immuable qui était moins émouvante comme un signe de l'été qu'elle n'était morne comme celle d'un émail inerte et factice. Et tandis que Françoise ôtait les épingles des impostes, détachait les étoffes, tirait les rideaux, le jour d'été qu'elle découvrait semblait aussi mort, aussi immémorial qu'une somptueuse et millénaire momie que notre vieille servante n'eût fait que précautionneusement désemmailloter de tous ses linges, avant de la faire apparaître, embaumée dans sa robe d'or.



Marcel PROUST - À la recherche du temps perdu


Après trois ans



Allan Myndzak - Sous la tonnelle




Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.

Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

Les roses comme avant palpitent ; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent.
Chaque alouette qui va et vient m'est connue.

Même j'ai retrouvé debout la Velléda
Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue,
- Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.



Paul VERLAINE - Poèmes saturniens (Melencholia)

07/06/2014

L'ombre des arbres...






                                                                                   Le rossignol qui du haut d'une
                                                                                branche se regarde dedans, croit
                                                                                être tombé dans la rivière. Il est 
                                                                                au sommet d'un chêne et toutefois
                                                                                il a peur de se noyer.
                                                                                  (CYRANO DE BERGERAC)



L'ombre des arbres dans la rivière embrumée
           Meurt comme de la fumée
Tandis qu'en l'air, parmi les ramures réelles,
           Se plaignent les tourterelles.

Combien, ô voyageur, ce paysage blême
           Te mira blême toi-même,
Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées
           Tes espérances noyées ! 



PAUL VERLAINE - Romances sans paroles (Ariettes oubliées IX)